Par Me Aline TELLIER, avocat collaborateur et Me Aïda MOUMNI, avocat associé
En droit des militaires, une question demeure récurrente : la spécificité militaire peut-elle justifier toutes les différences de traitement ?
La problématique de l’appréciation de l'aptitude ou non d'un militaire uniquement par un médecin militaire en est un exemple.
En effet, la détermination et le contrôle de l’aptitude médicale à servir du personnel militaire relève de la compétence des médecins du service de santé des armées.
L’article L713-12 du Code de la Sécurité Sociale énonce :
« Les services de santé militaires restent seuls compétents pour toutes les décisions pouvant avoir des conséquences statutaires ou disciplinaires ».
Il en résulte que lorsque l’aptitude d’un militaire est discutée, seules les expertises médicales effectuées par un médecin militaire font foi.
Une telle situation rend particulièrement difficile la contestation de son aptitude ou de son inaptitude par le militaire requérant dès lors qu’il lui est quasi-impossible d’apporter la preuve contraire.
Lesdites dispositions pourraient ainsi ériger les constatations des médecins militaires comme des preuves irréfragables alors que, par nature, il s’agit de l’appréciation de faits juridiques qui doivent nécessairement être l’objet d’un examen contradictoire.
En effet, l’enjeu est là : que doit faire le requérant fasse à une preuve impossible ?
L’aptitude ou l’inaptitude d’un militaire étant un élément factuel, elle devrait être prouvée par tout moyen et notamment par des expertises et des certificats médicaux effectués par des médecins civils, davantage lorsqu’il s’agit de spécialistes ou de documents médicaux plus récents.
D’ailleurs, si selon l’adage « actori incombit probato », le demandeur a la charge de la preuve, il est de jurisprudence constante que le juge administratif exige cette preuve que dans la mesure où le demandeur a les moyens matériels de la fournir et ce d’autant plus que ce magistrat demeure entièrement libre dans l’administration des modes de preuve.
Ainsi, le juge administratif peut se contenter de simples commencements de preuve ou de simples présomptions.
Une telle négation de la valeur des avis et examens des médecins civils est surprenante dès lors que dans d’autres circonstances, Monsieur le Ministre de la Défense accorde pleine valeur probante aux constatations et diagnostics de médecins civils.
Il en est notamment ainsi dans le cadre des procédures de pensions militaires d’invalidité pour lesquelles l’appréciation de l'invalidité du militaire se fait à partir du dossier médical civil et militaire et où sont commis pour expertise des médecins civils.
En conclusion, la question est alors de savoir si les médecins tant civils que militaires forment une seule et même famille de professionnels de la santé titulaires d’un diplôme de docteur en médecine ayant pour but de soigner les maux de l’être humain – ils seront alors des frères médecins – ou s’il s’agit de cousins éloignés tentant chacun de soigner des êtres différents ?
© MDMH – Publié le 23 octobre 2015