Le 10 septembre 2021, la Chambre des Appels correctionnels sur intérêts civils près la Cour d'Appel de METZ a rendu une décision attendue dans l'affaire de Isabelle, la première Marinette à avoir osé, en 2012, déposé plainte et dénoncé le harcèlement sexuel et les violences qu'elle avait subis de la part de son supérieur hiérarchique, le Premier Maître Franc D. au CIRFA de METZ.
C'est au terme d'une décision de 10 pages qu'Isabelle a compris, après toutes ces années, et plusieurs revirements, qu'elle venait de remporter une nouvelle bataille et peut être l'ultime victoire (la décision n'est à ce jour pas définitive) ; son supérieur hiérarchique le Premier Maître D a bien été condamné, en appel, à réparer les conséquences de sa faute civile tenant à divers propos et agissements qu'il avait fait subir à sa subordonnée pendant plusieurs mois.
Mais revenons-en aux prémices de cette décision :
C'est en 2012 qu'Isabelle va déposer une plainte pénale auprès de Monsieur le Procureur près le Tribunal de Grande Instance de METZ, juridiction spécialisée en affaires pénales militaires.
Après près de 3 mois d'un silence absolu, Isabelle, soutenue par l'ADEFDROMIL-Aide aux victimes (association de défense des droits des militaires) va solliciter MDMH AVOCATS pour formaliser une plainte avec constitution de partie civile.
Coup de théâtre ... à peine la plainte avec constitution de partie civile régularisée, Isabelle est-elle convoquée sous prétexte d'une enquête préliminaire dont l'examen démontrera qu'elle n'en a que le nom et qu'aucune réelle diligence n'a été effectuée.
S'en suivent la formalisation d'une plainte avec constitution de partie civile, le paiement de la consignation mise à la charge de la partie civile, l'abrogation du délit de harcèlement sexuel contraignant une requalification des faits, une demande d'acte tendant à l'audition de la partie civile, une audition troublante par un juge d'instruction qui minimisait alors largement les faits subis par Isabelle, ironisait et en souriait, une confrontation particulièrement pénible, des correspondances sans réponse ... et des mois et années de silence et d'inaction pour en définitive subir une ordonnance de non lieu en date du 27 mars 2017 près de 5 ans plus tard.
Mais Isabelle ne peut en rester là et a le courage d'en interjeter appel.
C'est ainsi et ce fut une première victoire que la Chambre de l'instruction près la Cour d'Appel de METZ, par un arrêt du 22 mars 2018, infirma la décision s'agissant du Premier Maître D et le renvoya en correctionnelle devant la juridiction spécialisée en affaires pénales militaires.
Le procès était attendu mais il n'a pas été à la hauteur des attentes légitimes de Isabelle.
Par un jugement du 15 novembre 2019, le Premier Maître D était relaxé, après que le Parquet, qui n'a jamais soutenu Isabelle tout au long de ses années, ait requis à la relaxe.
Mais Isabelle une nouvelle fois ne pouvait laisser une telle décision perdurer.
C'est dans ces circonstances qu'elle interjetait appel de cette décision.
Le parquet n'ayant pas interjeté appel la relaxe du Premier Maître D. était devenue définitive.
Mais tout n'était pas perdu, loin de là, et Isabelle, malgré tout ce qu'elle a eu à subir, n'a jamais renoncé et a toujours cru que la justice passerait.
C'est ainsi, qu'après des débats s'étant tenus le 8 janvier 2021, que, par une décision particulièrement motivée, la Cour d'Appel de METZ vient de rendre justice à Isabelle en relevant :
"MOTIFS DE LA DECISION
Sur la motivation du jugement
La cour ne peut que constaté que, comme remarqué par ... Isabelle ... à titre préliminaire, le jugement entrepris n'est pas motivé et donc ne répond pas à l'exigence de motivation des décisions de justice et plus particulièrement aux prescriptions de l'article 485 du Code de procédure pénale selon lequel le jugement doit contenir des motifs et un dispositif et que les motifs constituent la base du dispositif.
Elle ne peut cependant en tirer aucune conséquence dès lors que ... Isabelle ... ne remet pas en cause la régularité formelle du jugement mais en critique le fond.
Sur la faute civile
Une partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe peut obtenir devant la cour d'appel la réparation du dommage résultant d'une faute civile de la part de la personne relaxée démontrée à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite.
Cela étant, il résulte de la procédure que Franc D a fait répéter plusieurs fois à Isabelle le terme de "Bitte de port" correspondant au mot de passe associé à des chiffres qu'il avait choisi pour son ordinateur et qui, même employé dans un contexte marin, présente également une connotation sexuelle, qu'il a appelé fréquemment celle-ci par le surnom "Petit chat" décliné en "Little minou", expression également à connotation sexuelle le "minou" désignant le sexe d'une femme dans l'argot populaire, qu'il a envoyé à ... Isabelle ... dans le cadre professionnel le SMS "Coucou petit chat je suis devant chez toi et j'attends mon bisou" qu'il a déclaré devant elle "Ah c'est la sainte Brigitte aujourd'hui, c'est comme la Saint-Valentin, les amoureux se tiennent la main donc à la sainte Brigitte ..." avec des variantes de type "Monique Angélique Dominique" "Qu'est ce qu'on fait à la Sainte Monique ? On la nique" et avoir fait des blagues à connotation sexuelle à la machine à café, qu'il lui a dit sous la forme de sous entendus lorsqu'elle se penchait que sa position pouvait porte sexuellement à confusion, qu'il lui a tiré plusieurs fois sa chemise, lui a agrafé ses galons sur l'épaule, qu'il a débranché la souris de son ordinateur et actionné la pédale de sa chaise.
Chacun de ces faits pris isolèment peut paraitre anodin et caractériser un humour potache. Mais associés les uns aux autres et dirigés essentiellement vers la même personne, ils constituent une répétition de comportements humiliants et choquants, en tout état de cause déplacés et ne pouvant s'inscrire dans des relations professionnelles même cordiales, qui ont eu pour effet de porter atteinte à la dignité de ... Isabelle ... et selon l'expertise au dossier, compromettre sa santé.
Les explications donnée par Franc D ne peuvent justifier de tels faits ni ne les priver de leur caractère fautif (...)
Il s'ensuit que par la nature et la répétition de ses propos et agissements à l'encontre de ... Isabelle, Franc D a commis une faute civile envers celle-ci au sens de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil selon lequel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autre un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. (...)"
Ce faisant Franc D, l'ancien supérieur hiérarchique d'Isabelle était condamné à lui verser des dommages et intérêts et une allocation en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour couvrir ses frais de procédure.
A ce jour, la décision n'est pas définitive.
MDMH AVOCATS salue le courage et la force d'Isabelle qui a incontestablement ouvert une voie à l'heure où, il y a 10 ans, les victimes de harcèlement sexuel et de violences dans les armées subissaient la loi du silence et les pressions de la grande muette, et ce bien avant le scandale médiatique suite à la publication de l'ouvrage La guerre Invisible, la création de Thémis ou encore les Mee too et autres mouvements libérant la parole.
Aujourd'hui les choses ont évolué et bien heureusement et les victimes de harcèlement sexuel ne sont plus aussi démunies.
Isabelle démontre que patience et persévérance sont mères des vertus.
Pendant toutes ces années et malgré les difficultés, Isabelle a su rester droite et forte et s'élever.
Isabelle n'oublie pas, et n'oubliera pas ceux qui l'ont soutenu. Il est évidemment de sa famille et de l'ADEFROMIL-Aide aux victimes.
Mais un mot doit également être dit pour ceux des journalistes qui, au delà du sensationnel, ont voulu entendre et écouter ce qu'avait subi Isabelle et ce qu'elle dénonçait. Il en est ainsi d'Alain MORVAN qui, au fil des ans, a couvert cette affaire.
Les derniers mots seront pour Isabelle :
"Nous avons réussi, Isabelle, nous avons réussi et je n'oublierai pas vos larmes à l'annonce de cette décision. Il est de ces instants qui, pour l'avocat que je suis, donne sens à ce très beau et exigeant métier que j'exerce et je ne peux que vous en remercier."
© MDMH – Publié le 17 septembre 2021
Retrouvez les articles publiés sur l'affaire de Isabelle sur le blog de MDMH AVOCATS
Harcèlement sexuel et violences dans les armées : « la victime veut un procès » - article publié le 17 janvier 2018 : en cliquant ici
VIOLENCES, HARCELEMENT SEXUEL : UN PROCES POUR LA VICTIME - article publié le 30 mars 2018 : en cliquant ici
Harcèlement sexuel et violences dans les armées : audience du 18 octobre 2019 à METZ - article publié le 17 octobre 2019 : en cliquant ici
Harcèlement sexuel et violences dans l’armée : délibéré attendu le 15 novembre 2019 - article publié le 23 octobre 2019 : en cliquant ici