Nos articles évoquent souvent les modalités de recours possibles pour les militaires souhaitant contester une décision individuelle défavorable rendue par l'administration militaire ou refusant de leur reconnaitre un droit.
Toutefois qu'advient il lorsqu'une décision de justice est favorable au militaire mais qu'elle n'est pas exécutée par l'administration militaire?
Il s'agit du domaine de l'exécution des jugements ou arrêts rendus par les juridictions administratives.
L'article L 911-4 du code de justice administrative prévoit ainsi que:
"En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution.
Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte."
En effet, et par principe, l'administration militaire comme toute administration doit se conformer spontanément aux décisions de justice qui lui sont notifiées.
Toutefois, le militaire peut être confronté au silence de l'administration ou à un refus de procéder à des actes visant à exécuter la décision de justice.
A ce stade il convient de distinguer si la mesure d'exécution demandée concerne uniquement le règlement d'une somme d'argent ou s'il s'agit de demandes liées à l'annulation de la décision attaquée et des mesures à prendre afin d'en assurer l'effectivité.
Si la décision inexécutée concerne uniquement des sommes d'argent dont le montant n'a pas été versé ou que partiellement, la procédure de paiement forcé est possible sans avoir à demander préalablement à la juridiction administrative d'en ordonner l'exécution.
Pour exercer cette voie d'exécution, il convient avant tout d'attendre que la décision soit définitive c'est à dire qu'elle n'est plus susceptible d'un recours contentieux (appel ou pourvoi en cassation).
En effet l'(article L 911-9 du code de justice administrative prévoit s'agissant des condamnations de l'Etat dont fait partie le ministère des Armées que :
"Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci après reproduites, sont applicables.
" Art. 1er. – I. – Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'Etat au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice.
Si la dépense est imputable sur des crédits limitatifs qui se révèlent insuffisants, l'ordonnancement est fait dans la limite des crédits disponibles. Les ressources nécessaires pour les compléter sont dégagées dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Dans ce cas, l'ordonnancement complémentaire doit être fait dans un délai de quatre mois à compter de la notification.
A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement (...)"
Ainsi, dans le cas où le militaire n'a pas perçu les sommes allouées par la décision de justice ou partiellement, il peut saisir le comptable public compétent d’une demande de paiement en lui adressant un courrier demandant la mise en place de la contrainte en pa joignant une copie de la décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire et en y joignant un relevé d’identité bancaire ainsi qu’une copie d’une pièce attestant de son identité (carte d’identité, passeport,…).
En pratique, le comptable public est représenté par la DGFIP (direction générale des finances publiques) à qui il convient d'écrire dans le ressort de la juridiction administrative ayant pris la décision.
Rappelons toutefois que les décisions administratives sont exécutoires de plein droit et leurs effets ne sont pas suspendus en cas de recours contre la décision. Ainsi, en cas de recours contre la décision ayant allouée une somme d'argent au militaire, il devra s'adresser pour le paiement à la juridiction en charge du recours.
Lorsque la décision dont il est demandé l'exécution concerne les conséquences d'une annulation d'un jugement, il convient de s'adresser directement au juge qui a rendu la décision.
là encore, la décision doit être passée en force jugée (voies et délais de recours expirées et non exercées).
La demande d'exécution a pour finalité soit de contraindre l'administration à exécuter la décision de justice dans les termes précis qui sont mentionnés dans la décision (injonction de réintégration, reconnaissance d'un lien entre le service et la maladie ou l'accident etc) ou en cas d'absence de prescriptions dans le jugement, le juge devra définir les modalités permettant l'exécution effective de la décision.
En aucun cas cette demande d'exécution ne peut permettre de former des demandes nouvelles qui n'étaient pas déjà formées auparavant ni demander des dommages et intérêts en raison d'un préjudice moral ou financier lié à l'absence d'exécution.
Lorsque la juridiction administrative reçoit la demande d'exécution, une phase administrative s'ouvre dans un délai de six mois.
Au terme de cette procédure le juge invite l'administration à se conformer à la décision et à produire les preuves de l'exécution de la décision (article R 921-5 du code de justice administrative)
Le militaire pourra faire ses observations et faire part de son désaccord s'il estime que la décision n'est toujours pas exécutée.
Si le juge considère que la réponse de l'administration n'est pas satisfaisante ou que le militaire demande à ce que le juge se prononce expressément sur cette exécution, une phase dite juridictionnelle s'ouvrira.
Dans cette hypothèse l'affaire sera de nouveau jugée mais uniquement dans les limites de la motivation du jugement dont il est demandé l'exécution (article R 921-6 du code de justice administrative).
Un arrêt de la Cour administrative d'appel rendu le 29/12/2022 rappelle clairement l'office du juge lorsqu'il intervient en qualité de juge de l'exécution :
" (...) D'une part, en l'absence de définition, par le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée, des mesures qu'impliquent nécessairement cette décision, il appartient au juge, saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'y procéder lui-même en tenant compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si la décision faisant l'objet de la demande d'exécution prescrit déjà de telles mesures en application de l'article L. 911-1 du même code, il peut, dans l'hypothèse où elles seraient entachées d'une obscurité ou d'une ambigüité, en préciser la portée. Le cas échéant, il lui appartient aussi d'en édicter de nouvelles en se plaçant, de même, à la date de sa décision, sans toutefois pouvoir remettre en cause celles qui ont précédemment été prescrites, ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée. En particulier, la rectification des erreurs de droit ou de fait dont serait entachée la décision en cause ne peut procéder que de l'exercice, dans les délais fixés par les dispositions applicables, des voies de recours ouvertes contre cette décision.
D'autre part, il appartient au juge saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou qu'il prescrit lui-même par la fixation d'un délai d'exécution et le prononcé d'une astreinte suivi, le cas échéant, de la liquidation de celle-ci, en tenant compte tant des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l'exécution de la chose jugée ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être.
Enfin, il résulte encore de ces dispositions qu'il appartient au juge de l'exécution de prescrire les mesures qu'implique nécessairement la décision dont l'exécution lui est demandée par la partie intéressée, alors même que ces mesures ne figuraient pas expressément dans la demande présentée au président de la juridiction ou dans les mémoires produits après l'ouverture de la procédure juridictionnelle. Il n'en va autrement que lorsque la partie qui a saisi la juridiction d'une demande d'exécution a indiqué, sans équivoque, qu'elle renonçait au bénéfice d'une partie de ces mesures (...)" (CAA Nancy 29/12/2022 n° 22NC00103).
En effet, au delà de la reconnaissance de l'illégalité d'une décision rendue par l'administration militaire, la décision de justice doit pouvoir produire tous ses effets et c'est le rôle du juge de l'exécution de s'en assurer.
© MDMH – Publié le 05 janvier 2023