En matière disciplinaire, le droit au silence est souvent méconnu, voire négligé.
Cela n’est pas bien étonnant puisque ce n’est que très récemment qu’il a été consacré via deux décisions du Conseil constitutionnel des 8 décembre 2023 et du 26 juin 2024 (cf. Décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 et n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024)
Pourtant, il constitue une protection fondamentale pour toute personne soumise à une procédure disciplinaire lui permettant de ne pas s’auto-incriminer.
Le droit au silence est en réalité essentiel pour garantir une procédure disciplinaire équitable.
Il évite notamment que des déclarations obtenues sous pression ne soient utilisées à l’encontre de la personne concernée.
Il permet, sans nul doute, à l’agent de mieux préparer sa défense, en ayant le temps de consulter la personne de son choix, un camarade, un supérieur … et même un avocat avant de s’exprimer.
Il peut ainsi permettre au militaire, qui fait face à une accusation disciplinaire, de ne pas se précipiter dans des déclarations pouvant être mal interprétées, tout en assurant qu'une enquête approfondie soit menée par les autorités compétentes si nécessaire.
En droit disciplinaire, il incombe en effet à l’autorité disciplinaire de prouver les faits reprochés et non à l’individu de se défendre activement s’il préfère ne pas s’exprimer.
En droit pénal, le droit au silence est bien établi et inscrit dans la Loi notamment à l’article préliminaire du code de procédure pénale qui énonce notamment :
"En matière de crime ou de délit, le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés est notifié à toute personne suspectée ou poursuivie avant tout recueil de ses observations et avant tout interrogatoire, y compris pour obtenir des renseignements sur sa personnalité ou pour prononcer une mesure de sûreté, lors de sa première présentation devant un service d'enquête, un magistrat, une juridiction ou toute personne ou tout service mandaté par l'autorité judiciaire. Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que ledit droit ait été notifié."
En droit disciplinaire, il a fallu attendre les deux décisions précitées du Conseil constitutionnel qui ont consacré que le droit au silence devait s’étendre à toute type de procédure répressive, y compris dans la cadre de la procédure disciplinaire au visa de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en retenant :
« 9. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »
(Décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023)
« 15. Dès lors, en ne prévoyant pas que le magistrat mis en cause doit être informé de son droit de se taire lors de son audition par le rapporteur ainsi que lors de sa comparution devant le conseil de discipline, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
(Décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024)
La jurisprudence administrative a appliqué cette jurisprudence en annulant une sanction infligée à un agent public au motif qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire en relevant :
«3. En l'espèce, M. A... soutient sans être contredit par le groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences, lequel n'a d'ailleurs pas produit de mémoire en défense, qu'il n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire. Dès lors, M. A... est fondé à soutenir que, du fait de la privation de cette garantie, la sanction disciplinaire litigieuse est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulée.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. »
(CAA de PARIS, 6ème chambre, 02/04/2024, 22PA03578,)
C’est ainsi que, prenant acte de ces décisions et de l’évolution jurisprudentielle, la Direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère des Armées et la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN) ont, au cours de cet été, adopté deux notes aux contenus proches que MDMH AVOCATS a pu se procurer et qu’il convient de porter à la connaissance du plus grand nombre.
Il s’agit ainsi :
étant rappelé que si les militaires de la gendarmerie nationale relèvent du ministère de l’Intérieur qui défend en procédure pour les contentieux relatifs à leur notation, leur avancement ou encore leur mutation par exemples, le ministère des Armées demeure l’administration défenderesse dans le cadre du contentieux disciplinaire.
Outre la reconnaissance de la consécration du droit au silence au profit des agents publics, civils comme militaires , lesdits notes ont pour objet d’inviter les destinataires in fine « à adapter sans délai les procédures mises en œuvre (…) compte tenu de l’applicabilité aux procédures disciplinaires en cours ou à venir de l’obligation d’informer les agents de leur droit à garder le silence ».
La DAJ va plus loin en précisant :
« A ce stade, la DAJ considère qu’il est d’ores et déjà indispensable d’informer les agents civils et les militaires de leur droit de garder le silence lorsqu’ils sont engagés dans une procédure disciplinaire.
Cette mention devra désormais figurer dans le courrier notifiant au fonctionnaire civil ou militaire poursuivi l’engagement de la procédure disciplinaire. Ce courrier précise déjà son droit à obtenir communication de son dossier, à présenter des observations, et à se faire assister d’un défenseur de son choix pour les agents civils ou accompagner d’un militaire en activité pour les militaires. Elle devra faire apparaitre de manière non équivoque que ce droit au silence s’exerce tout au long de la procédure, y compris devant le conseil d’enquête ou de discipline le cas échéant ».
La DAJ conclut ce point en précisant :
« A défaut de mention dans ce courrier, l’information peut être apportée par d’autres moyens, y compris oralement, mais elle devra alors être tracée, de manière à pouvoir établir en cas de contentieux que la garantie a bien respectée. »
Quant à la DGGN elle précise en BRAVO de sa note :
"Bravo : L'obligation de compte rendu du militaire à ses chefs demeure, tant qu'une procédure disciplinaire n'a pas été initiée à l'encontre de ce dernier. En revanche, aucun compte rendu ne devra lui être demandé entre la date du début de la procédure et la date à laquelle il prend connaissance de son droit au silence."
Ainsi que l’a précisé la Cour administrative d’appel de PARIS dans son arrêt du 2 avril 2024 précité, la privation de la garantie fondamentale que constitue le droit de se taire rend la procédure disciplinaire irrégulière et doit être annulée.
La DAJ du Ministère des Armées est bien consciente de l’illégalité encourue puisqu’elle conclut sa note en indiquant :
« S’agissant enfin des procédures passées (déjà initiées ou même déjà closes), elles ne sont pas exemptes de cette obligation, toute nouvelle garantie jurisprudentielle ayant une portée rétroactive. »
Pour autant, elle nuance en précisant :
« Pour autant, sa méconnaissance ne devrait pas conduire le juge à annuler systématiquement la sanction en cas de recours. En pratique, le juge administratif appréciera au cas par cas si le défaut d’information a effectivement eu une incidence pour l’agent ou le militaire sanctionné. Le risque contentieux parait ainsi cantonné aux cas où la sanction disciplinaire repose exclusivement sur les déclarations de la personne poursuivie ».
MDMH AVOCATS ne partage pas cette analyse et croit au contraire que le vice est suffisamment grave pour que les procédures qui auraient privé le militaire de cette garantie fondamentale soient purement et simplement annulées à l’instar de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt de la CAA de PARIS du 2 avril 2024 précité.
MDMH AVOCATS ne peut ainsi qu’inviter les mis en cause et autres requérants à se prévaloir de cette violation.
La DAJ affirme, de manière péremptoire, dans sa note :
« En revanche, les enquêtes administratives ou de commandement éventuellement diligences en amont pour établir la matérialité des faits et agissements, notamment par un corps d’inspection, ne sont pas concernées par cette obligation car elles ne font pas partie de la procédure disciplinaire, même l’agent civil ou le militaire en cause est fréquemment auditionné à cette étape ».
Rien n’est moins sûr !
En réalité, et en fonction des situations, le militaire mis en cause pourra faire valoir son droit au silence et son droit à ne pas s’auto-incriminer et ce sera ensuite au juge administratif éventuellement saisi d’apprécier la légitimité de l’exercice de ce droit.
Gageons tout au contrainte que cette nouvelle garantie s’intègre dans le cadre des enquêtes de de commandement et que l’on en finisse avec les formules nauséabondes telles que :
« je suis libre de ne pas répondre à vos questions et de me retirer à tout instant si je le souhaite, mais je m’expose, dans ce cas, à ce que toutes les conséquences soient tirées de mon attitude qui pourra être appréciée comme incompatible avec mon devoir de loyauté »
Le devoir de loyauté et le droit au silence sont nécessairement des droits à concilier.
Si choisir de se taire peut-être perçu négativement par l’autorité disciplinaire, en aucune façon il ne doit être interprété comme une présomption de culpabilité.
Comme rappelé supra, en droit disciplinaire, il incombe à l’autorité disciplinaire de prouver les faits reprochés et non à l’individu de se défendre activement s’il préfère ne pas s’exprimer.
Il doit en être de même s’agissant du compte rendu, souvent sollicité sur ordre, la note de la DDGN précisant expressément en BRAVO :
"L'obligation de compte rendu du militaire à ses chefs demeure, tant qu'une procédure disciplinaire n'a pas été initiée à l'encontre de ce dernier. En revanche, aucun compte rendu ne devra lui être demandé entre la date du début de la procédure et la date à laquelle il prend connaissance de son droit au silence."
Les mots ont un sens et le sens des mots est important.
Ainsi et reprenant la recommandation de l’APNM Gendarmes et Citoyens et de son porte parole, le Capitaine Marc ROLLANG dans son post publié il y a quelques jours :
« vous aurez compris l’importance de s’exprimer avec justesse et mesure »
et nous pouvons ajouter avec prudence surtout lorsque le militaire concerné n’est pas informé précisément de la réalité de sa mise en cause et des faits dont on l'accuse.
MDMH AVOCATS, cabinet pionnier en droit des militaires, est à vos côtés pour vous accompagner dans ces moments délicats et les procédures disciplinaires qui vous concernent et vous garantir une défense adaptée à vos droits et obligations.
Pour aller plus loin sur le sujet, retrouvez les articles de notre blog sur le droit disciplinaire et notamment :
Catégorie et groupe de sanctions : quelle différence ? en cliquant ici
Sanction militaire : quand, comment et devant qui contester ? en cliquant ici
Annulation des sanctions disciplinaires par les juridictions administratives et effacement des dossiers : cliquer ici
Effacement automatique des sanctions disciplinaires des militaires : pensez à vérifier vos dossiers en cliquant ici
Sanction disciplinaire des militaires : le juge administratif sanctionne l'absence de proportionnalité d'une sanction de 30 jours d'arrêts : en cliquant ici
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© MDMH – Publié le 18 septembre 2024