Il y a quelques jours dans notre article "Affaire pénale militaire : relaxe des 8 militaires poursuivis suite au crash d’un Cougar en 2009 au large du Gabon" publié sur notre blog le 9 juillet 2021, nous vous annoncions le délibéré rendu par la 14ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris et précisions que nous publierons au cours de l'été son récit du procès, vu de l’intérieur. Voici ce feuilleton de l'été qui commence aujourd'hui : Jours 1 et 2.
Mardi 8 juin 2021 se tenait la première audience du procès dit du « crash du cougar », le crash aérien de l’hélicoptère Cougar survenu le 17 janvier 2009 devant la 14ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, juridiction spécialisée en affaires pénales militaires. Les huit prévenus convoqués se sont présentés à 13h30, assistés de leurs conseils respectifs, dans une ambiance lourde de souvenirs, mais aussi de retrouvailles, certains ne s’étant pas vus depuis plusieurs années.
Cette tragédie avait frappé le Cougar, lors de son décollage de nuit du pont du TCD Foudre, coutant ainsi la vie à 8 militaires, dont 6 dragons parachutistes.
La présidente du tribunal a appelé les huit prévenus à se présenter chacun leur tour, et à décliner leur identité.
Elle a ensuite repris les accusations et la prévention pesant sur chacun d’entre eux, débutant presque toutes par cette formule : « Monsieur ..., il vous est reproché le 17 janvier 2009, dans le golfe du Biafra au large du Gabon d’avoir violé une obligation de prudence et de sécurité, causant involontairement la mort des » huit victimes, rappelant ainsi les circonstances de l’accident d’un ton lisse.
La présidente du Tribunal, claire et précise dans ses propos, démontrait également toute la solennité entendue alors qu’elle évoquait la mort des soldats et vérifiait qui des parties civiles constituées lors de l’instruction étaient désormais ou non présentes et/ou représentées.
L’ordonnance de règlement rendue le 21 aout 2018 avait renvoyé les huit prévenus devant le tribunal correctionnel, pour un procès supposé se tenir à la même époque l’année dernière mais reportée en raison de la crise sanitaire.
La présidente n’a pas fait mine de cacher son désappointement voire parfois son mécontentement à l’égard de l’ordonnance de renvoi, mal écrite, pleine de fautes d’orthographe, sans mise en page et pis encore, ne visant pas les observations déposées par le conseil de l’un des mis en cause. Son avocat avait d'ailleurs déposé quelques jours avant l'audience un projet de conclusions visant à voir constater l’irrégularité de l’ordonnance et confirmant sa demande de relaxe à l’égard de son client. Un raisonnement à première vue paradoxal, justifié selon lui, « pour des raisons juridiquement simples (…) mais humainement compliquées ». Opposant le non visa de ses observations déposées en 2018 par l’ordonnance, bafouant ainsi le droit de son client de déposer des observations à des fins de non-lieu, et « l’envie d’en finir avec cette histoire » de son client, justifiée notamment par l’ancienneté des faits, il concluait en déclarant que « le non lieu se transformerait en relaxe ».
La présidente attentive, prit des notes.
Il apparut alors clair que malgré la matière particulière et le « caractère complexe du dossier » qu’elle souligna elle-même, elle avait saisi les enjeux mais aussi les difficultés de l’affaire. Ses termes précis et pertinents, ses phrases d’une clarté apparente faisaient mouche, et mettaient en lumière les difficultés juridiques soulevées par l’accident. Son rapport sur l’affaire ne fit que confirmer le ressenti de tous dans la salle : elle ne se fera avoir par aucune « défense obscure ».
Était alors repris le calendrier prévisionnel du procès prévu pour être appelé sur 3 semaines du 8 au 25 juin 2021. Sera questionnée dès le lendemain l’utilisation du radar par les marins présents à bord du TCD Foudre, en lieu et place du radar d’appontage, en raison de l’avarie de celui-ci.
L’audience débute par la lecture d’une lettre de l’avocat de l’une des parties civiles, expliquant que cette dernière n’assisterait plus aux audiences, en raison des souvenirs douloureux que cela faisait remonter chez elle. Procès attendu pendant plus de douze ans, elle ne se désiste pas de sa constitution de partie civile mais s’en remet dès à présent au tribunal.
Toute l’audience du jour tourne autour de ces quelques termes : « CRAT », radar d’appontage, demande de dérogation, IP 1 … de quoi faire tourner la tête des moins initiés, et ce d’autant plus lorsque l’on sait que l’avarie du radar d’appontage, constatée dans la nuit du 8 au 9 janvier 2009, et faisant l’objet d’un message « CRAT » (compte rendu d’avarie technique), n’apparait pas être liée directement avec la tragédie du 17 janvier.
Est d’abord interrogé le CTAC du Foudre à cette époque, [le PM T., assisté par MDMH AVOCATS.] Ce dernier explique avoir dû, pour des raisons de priorité entre les navires, « exagérer » les conséquences de cette avarie dans son message. Autrement, la pièce ne serait jamais arrivée pour être changée. En effet, nous sommes en 2008, la crise financière est encore fraiche et n’a pas épargné les armées françaises. Les pièces de rechange de matériel du navire se font rares et un ordre de priorité est établi pour l’obtention de ces pièces, en fonction de la gravité des conséquences de l’avarie. Il faut ajouter à cela l’importance du navire pour la marine nationale, et le Charles De Gaulle sera par exemple, toujours prioritaire. Ces pannes sont courantes, et l’ensemble des militaires présents dans la salle semblent coutumiers du fait. Que faut-il penser de ces marins, obligés d’exagérer les conséquences de pannes techniques courantes afin d’avoir une chance de se voir changer leur matériel dans des délais raisonnables ?
La question du jour était de savoir si une demande de dérogation aurait dû être faite, et pourquoi ?
Pour les gendarmes de la gendarmerie de l’air de VELISY VILLACOUBLAY, il est clair que si une demande de dérogation avait été faite, le Cougar n’aurait pas décollé, et donc l’accident ne serait pas arrivé.
A contrario, pour les militaires mis en examen, cette demande de dérogation n’avait pas lieu d’être.
Tout d’abord parce que le radar d’appontage n’est absolument nécessaire qu’en cas de percée. Or, aucune percée n’était prévue le 17 janvier. L’hélicoptère décollait du Foudre de nuit, et devait se poser à terre. Or, il s’agit d’un radar d’appontage et non de décollage.
Par ailleurs il est précisé dans l’instruction IP1, en vigueur à l’époque, qu’en cas d’avarie du radar d’appontage d’autres procédés peuvent être utilisés : CROTALE, VAMPIRE, RADAR. Il est donc possible, ce qui est confirmé par tous , de remplacer dans la quasi-totalité de ses fonctions, le radar d’appontage par le radar de navigation. Les deux radars sont strictement identiques. Le radar peut également être celui de l'hélicoptère lui même.
Etant précisé qu’après la tragédie du 17 janvier, les instructions permanentes ont été modifiées et qu’il est désormais acté que le radar d’appontage d’un navire peut être remplacé par le radar de navigation.
Mais alors pour quelle raison ces 8 hommes ont-ils été renvoyés devant ce tribunal correctionnel ?
Les auditions se succèdent et mettent en lumière un nouveau point : les conditions dans lesquelles les militaires ont été entendus par les gendarmes durant les gardes à vue.
Plusieurs prévenus reviennent sur leurs déclarations. On ne leur aurait présenté qu’une partie des instructions, on ne leur a pas proposé voire déconseillé de prendre un avocat etc.
Arrive le témoignage du gendarme ayant dirigé l’enquête.
Les avocats connaissent leur rôle, ils piquent, bousculent et tentent par tous les moyens de le déstabiliser. Mais le témoin semble coutumier du fait, reconnaissant volontiers que l’enquête n’est pas parfaite, ou que des erreurs ont sans doute été commises. Le nom de la juge d’instruction revient souvent, et apparait comme étant à l’origine des placements en garde à vue prémédités alors que les militaires étaient appelés à témoigner. L’enquêteur se détache de certaines responsabilités, ne veut pas répondre à la plupart des questions car « ce n’est pas son domaine ». L’avocat du COMOPS (1) de l’époque intervient et déclare « La juge d’instruction, c’est comme le commandant de bord. Elle se fie à ses experts, à ses enquêteurs ». Déclaration remarquablement bien placée lorsqu’on sait que le gendarme reprochait aux hauts gradés de ne pas avoir pris les bonnes décisions, notamment sur la demande de dérogation.
L’audience se clôt sur la première échauffourée entre les avocats de la défense et le seul avocat présent pour les parties civiles ce jour. En effet, l’ordre de passage pour poser des questions aux prévenus ou aux témoins est classique : d’abord l’avocat de la partie civile, puis le procureur, enfin les avocats de la défense. Mais alors que le gendarme interrogé sent venir la fin de son interrogatoire, l’avocat des parties civiles souhaite reprendre la parole. Cela lui est accordé mais irrite fortement la défense et notamment l’avocat du pacha du bateau (2), qui rappelle l’ordre de passage et les raisons de son existence. Rappelons également qu’il est 20h, que l’audience débutait à 13h30 et qu’une seule pause a été faite dans l’après-midi.
(1) Maître Romain DIEUDONNE, avocat au barreau de Paris
(2) Maître Jean BOUDOT, avocat au barreau de Marseille
Par Marine DESJUZEUR, juriste