L’expert présent la veille est revenu car, après ces déclarations, la présidente avait encore des questions à lui poser.
Il réitère. Selon lui, des dérogations sont pré accordées par l’instruction permanente Avia 53. De plus, d’autres dérogations peuvent également être mises en place en cas d’urgence. Néanmoins, si elles durent dans le temps et qu’elles ont pour objectif de faire un réentrainement, alors un avis technique doit être demandé à ALAVIA.
En revanche, il réexplique également que la disponibilité du radar d’´appontage n’est pas requise dès lors que l’hélicoptère dispose lui-même d’un radar.
La Foudre est un bâtiment de 23,50 mètres de large. Lors du décollage, le pilote a face à lui un mur de 12 mètres de haut. De ce fait, même assis à gauche, tant que le vol est stationnaire, il voit le bâtiment et dispose de références. La perte de références ne vient pas de la position de l’hélicoptère mais de la façon dont il décolle. En effet, en temps normal, le décollage se fait en vol stationnaire, ensuite le pilote oriente son cap, met la puissance et s’élève en montée verticale. L’objectif étant de s’éloigner de l’eau le plus vite possible. L’hélicoptère part enfin dans une direction tout en continuant de monter.
Mais le pilote n’a pas eu d’ascension verticale le soir du 17 il a immédiatement mis l’assiette, s’est donc éloigné du bateau et a perdu de vue le bâtiment, ne voyant plus les obstacles.
Au tour de L’OQA : Interrogé, il explique avoir un rôle d’interface entre le monde aéronautique et le monde maritime. Mais à l’époque, il n’avait à son actif qu’une centaine d’appontages de nuit environ et n’avait la qualification que de N2I. Par ailleurs, il était copilote. Or le pilote était qualifié N2C, avait plus de 1000h de vol et était commandant de bord au sein d’un aéronef Cougar. « Quelle légitimité avais-je pour lui dire qu’il se trompait ? Je n’avais pas les armes pour contester ce choix, les plaques se sont alignées pour que l’on est ce raté d’exécution » déclare-t-il. Plus encore, « les performances réalisées le 12 janvier pour les réentrainements étaient satisfaisantes, et les conditions météorologiques du jour n’interdisaient pas la manœuvre ». Enfin le pilote était un ami proche du prévenu, il n’aurait donc jamais fait quoi que ce soit le mettant en danger.
Un pilote d’essai : Entendu comme expert dans l’affaire, on lui demande d’expliquer le phénomène de désorientation spatiale. « Imaginez que je vous assoie sur une chaise, et que je vous fasse faire 3 tours les yeux fermés. Si vous vous relevez et que vous marchez juste après, vous ne marcherez pas droit alors que vous en aurez l’impression. Le cerveau n’ayant plus de repère visuel, il se fie au ressenti de son oreille interne mais qui est perturbée ». « Dans un hélicoptère, lorsqu’on passe les référentiels extérieurs, le cerveau se fie aux informations de son oreille interne, mais ces dernières sont fausses. Le seul moyen de les éviter est d’avoir une confiance absolue dans ses instruments et notamment dans l’horizon artificiel ». Ainsi, il se peut que le pilote n’ait pas suffisamment suivi les informations de ses instruments ce soir-là.
La présidente revient sur le contenu de l’enregistrement de l’hélicoptère. Le décollage avait été légèrement retardé en raison de problèmes techniques. A 20h06, « Paré. Pilote à gauche, et s’il peut partir vers la gauche, il le fait ». « AVIA vers Buffalo, vent sur pont, pas de tangage ou de roulis. Vert pour décollage ». 20h07, décollage, pales qui tournent. 20h08, bruit du crash.
Le Pacha : A nouveau interrogé sur les circonstances du décollage, il affirme que l’officier chef du quart est le représentant permanent du commandant. Il prend les décisions et l’OQA lui obéit. En revanche, le pilote est quant à lui, entièrement libre de l’ensemble des décisions, sauf si le navire lui dit de « remettre les gaz ». « Le reste n’a pas valeur d’ordre ». Par ailleurs et sur la raison de l’attachement particulier au respect du Bravo et du Charlie évoqué la veille, il explique que la mission principale du navire servant de plateforme n’est pas le décollage des hélicoptères. Il est doté de plusieurs autres missions, et il est de ce fait important de respecter ces horaires afin de ne pas perdre trop de temps sur la mission principale. Le navire a dans a plupart des cas des manœuvres à réaliser après le décollage et avant de pouvoir repartir remplir sa mission, or ces dernières demandent un certain temps. Mais en l’espèce, le 17 janvier 2009, la route de l’AVIA était au sud, et le bateau devait également faire route au sud pour sa mission. Il était « donc complètement indifférent au fait que l’hélicoptère décolle avec 30 minutes de retard ».
Un nouvel expert : défend l’idée selon laquelle le réentrainement aux SCA avec un axe décalé car sans radar d’appontage est valable pour deux raisons : « Cela permet de recueillir l’hélicoptère en situation dégradée, et cela montre aux équipages que c’est possible. Mais c’est au chef de bord de se sentir de le faire ». « Le radar d’appontage n’est pas la cause du crash, ce n’est pas la bonne voie ».
Le dernier expert de la journée : Venu tout droit d’Abu Dhabi pour l’occasion, il définit quant à lui le radar d’appontage comme un « radar d’approche ». En effet, il permet d’amener les pilotes à des minimas mais pas à l’appontage à proprement parler, car le pilote se pose à vue. De ce fait, en l’espèce, il n’était d’aucune utilité le 17 janvier « puisque le pilote décolle à vue puis aux instruments pendant la transition ». Par ailleurs, l’utilisation d’un autre radar pour des percées décalées d’environ 10° au maximum, ne lui parait pas dangereuse et il affirme connaitre la procédure. « On est régulièrement à gauche ou à droit de l’axe, j’ai dû être 20 fois dans ma carrière dans l’axe. On se repositionne dans l’axe, à vue ». « Les procédures décalées se font dans le monde civil et commercial ». En tant que pilote, « je suis responsable de mes réentrainements. Le Commandant, le COMOPS ou le CTAC sont responsables de me donner un bateau, c’est tout ». Sur la présence de l’OQA au briefing, il affirme que la fonction n’existe pas sur tous les bateaux et qu’il ne constitue donc qu’une « plus-value ». Lorsqu’il « décolle d’un bateau, le pilote n’est pas supposé avoir besoin d’un OQA ».
Pour les prévenus, ils ne le savent pas encore, mais cette journée sera bien plus violente que ce qu’ils avaient pu imaginer. On n’est jamais prêt pour ce genre de choses dans tous les cas. Les avocats tiennent à briefer les prévenus sur la violence de ce genre de confrontation. Eux ont l’habitude, mais c’est terrible pour qui ne l’a jamais expérimenté.
La séance débute par l’audition du mécanicien navigant à bord du Cougar, quasiment unique rescapé de l’accident. Il « tient à ramener d’abord les évènements dans un contexte global ». La mission du 17 janvier ne consistait pas à décoller du bateau mais à décoller de Libreville, à apponter puis à avitailler sur le bateau, à prendre ensuite les commandos, à réaliser une infiltration sous JVN et à les déposer de façon rapide, discrète, efficace. « Le décollage du Foudre faisait partie de la mission mais on oublie toute la partie tactique de l’ALAT ».
« Tous les jours avant le 17 janvier ont été compliqués ». Le 16 ou le 17 janvier, le pilote informait le mécanicien de l’existence d’une mission qui pourrait se déclencher. « Nous devons emmener 3 personnels OHT », il s’agit donc d’une mission de transport. Par suite, les plans ont changé plusieurs fois, notamment avec la pose du quadriplace, son retrait, sa pose à nouveau, et son retrait encore. Illustration de la complexité de l’organisation de cette mission. L’hélicoptère apponte sur le Foudre, avitaille en Kérosène. Le pilote part en briefing mais le mécanicien reste sur le pont pendant ce temps avec son 4ème homme. Il échange avec certains commandos qu’il connait. Puis se déroule le briefing de l’équipage au complet soit avec le pilote, le chef des commandos, la quatrième personne de l’équipage et lui-même. Le déroulé de la mission se présente ainsi : décollage, passage sous JVN, arrivée sur les côtes, vol tactique sous JVN. S’enchaina ensuite un nouveau briefing sans le chef des commandos où le pilote n’a pas développé la partie relative aux attributions de chacun sur la phase de décollage.
Avant de décoller, l’hélicoptère rencontra des problèmes techniques, plus précisément, un problème de gyroscope de vertical et un autre concernant la pompe de gavage. Dans la mise en route du cougar, chacun a sa responsabilité. « Moi, j’étais responsable du moteur ». Mais « Ce jour-là, tout le monde a été retardé. Moi j’étais occupé avec la pompe de gavage et un problème de harnais ». « Avec le temps, je dirai qu’on était poussé par un sentiment de « Il faut avancer » ». Le copilote les mit ensuite dans une configuration de vol interdite, et le mécanicien du donc ré embrayer la chaine puis il traita le problème de gyroscope de vertical. Il poursuivit ses vérifications après, on fit les check avec l’OQA.
Le pilote décolla à gauche. Pour le mécanicien, « il est certain que la mise en stationnaire avec ce choix-là ne l’a pas aidé ». Ce fut brutal, et « cela l’a sorti de ce qu’il avait à faire ». « La priorité du co pilote et moi était l’anti-collision avec le bâtiment. On était affairé à s’éloigner de la masse ». Revenant ensuite à leurs fonctions respectives, « (le copilote) identifia ce qui était en train de se passer mais n’eut pas le temps de corriger quoi que ce soit ». Il eut à peine le temps de dire « Redresse ! » avant que le Cougar ne touche l’eau. « Entre le stationnaire qui le déstabilise (le commandant de bord) donc il s’excuse et le crash, le temps est très court », explique-t-il.
Le récit de l’accident est glaçant.
Il ne fut pas interrompu une seule fois, on le laissait parler jusqu’à ce qu’il ne dise plus rien pendant plusieurs secondes.
Puis, d’une voix calme et douce, la présidente enchaina sur une question. Il poursuivait : « Après le crash, je débloquais mon casque, puis je remontais à la surface. J’émergeais dans une nappe de kérosène, mon visage me brulait. J’ai tenté d’allumer mes fusées de détresse afin d’envoyer un signal au navire, car j’avais peur qu’il ne nous ait pas vu, mais je n’ai pas réussi ». Il fut récupéré par les marins. « Le commandant de pont dira plus tard qu’il était mieux que les fusées ne s’allument pas, car cela aurait pu être dangereux avec le kérosène ».
Le silence était religieux dans la salle. On n’entendait que les doigts de la greffière sur le clavier et la voix du mécanicien, tremblante par moments, chargée de souvenirs, de colère, de regrets.
« Je tiens à préciser qu’il n’a jamais été envisagé un quelconque retour sur le bateau » conclut-il.
Toute la chaine de commandement et les exécutants, « on a tous eu un la main à un moment pour qu’on prenne une autre route, qu’on fasse un autre choix. Mais cela n’a pas été fait, et la raison réside dans la volonté de remplir la mission ». « Ce n’est pas un papier qui a fait tomber l’hélicoptère ». « Personne ne l’avait vu venir, sauf le copilote, lorsqu’il s’écria « Redresse ! » », affirma le rescapé.
Le regard plein d’empathie, la présidente interrogeait le survivant sur sa situation actuelle.
Déclaré inapte définitivement, il fut radié des contrôles et réformé en 2012. Il est depuis pensionné de guerre, et sans emploi mais reste volontairement à distance du monde militaire. « Je ne passerai jamais à autre chose car cela fait partie de ma vie, mais j’essaie que cela soit plus doux » déclare-t-il.
Une seule question était posée par les avocats de la défense, à laquelle le témoin répondait simplement avoir « une idée sur les causes du crash, mais (avoir) promis à la femme du commandant de bord de ne charger personne ». « Je ne veux pas qu’on me fasse dire n’importe quoi sur les défunts. Je ne le chargerai ni lui, ni un autre ».
La parole fut ensuite donnée à des membres de familles de commandos décès.
La mère et de la sœur de l’un des commandos sont invitées à venir à la barre. Elles évoquent, émues, le souvenir de leur fils et de leur frère disparu.
« Maman, je rentre dans l’armée pour participer à la protection de la paix dans notre pays » avait déclaré le commando, qui se destinait à l’origine à la boulangerie. « Excusez-moi je cherche des responsables » dit la mère, puis tremblante de rage : « Qui, parmi les prévenus, peut me regarder dans les yeux et me dire « Je n’y suis pour rien » ? » « Son père a donné 18 ans à la marine et son grand père a connu 4 guerres. Jamais je ne pourrai vous pardonner. Je suis venue ici pour mettre un visage sur les acteurs de ce film maudit ». A ces mots, sa voix se brisa pour de bon.
L’audience se clôtura ainsi, et la deuxième semaine du procès également.
Secoués, les prévenus, les parties civiles, et même certains avocats, quittèrent la salle le cœur lourd.
Cette journée fut placée sous le signe des larmes.
Par Marine DESJUZEUR, juriste
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© MDMH – Publié le 20 août 2021