Le droit administratif est un droit prétorien ce qui signifie que les juges administratifs contribuent au fil de leurs décisions, à établir des règles de droit qui ont une valeur juridique équivalente aux lois et règlements et s'imposent et parfois ces décisions peuvent avoir des conséquences fâcheuses ...
Ces règles prétoriennes interviennent tant sur le fond du droit que sur les règles de recevabilité des recours adressés aux juridictions administratives.
L’arrêt CZABAJ rendu le 13 juillet 2016 par le Conseil d’Etat en est une parfaite illustration.
En effet, jusqu’à cet arrêt, il était considéré que dès lors qu’un acte administratif n’avait pas notifié les voies et délais de recours ou mal notifié celui-ci, le requérant pouvait l’attaquer à tout moment sans conditions de délai contre un délai de deux mois dans le cas contraire.
Le conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence à l’occasion de la décision "CZABAJ" en réduisant à un an le délai de recevabilité d'un recours, sauf circonstances particulières, contre un acte dépourvu de notification des voies et délais de recours au nom de la sécurité juridique.
En effet, le Conseil d'Etat expliquait ainsi dans sa décision :
"(...) Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu'en une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance (...)"
Compte tenu de la nouvelle règle de droit établie par cet arrêt, les juridictions administratives en ont fait une application immédiate dans le cadre des recours en cours devant elles avec comme conséquence le rejet pour irrecevabilité des requêtes concernées, sans examen au fond.
Certains requérants évincés ont porté l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en invoquant la violation du droit à un recours effectif notamment en raison de l’application immédiate de la nouvelle solution dégagée par le conseil d'Etat alors même qu'elle ne pouvait être connue ou anticipée lors de l'introduction de la requête.
La CEDH a rendu son arrêt le 9 novembre 2023 et a jugé que si ce revirement de jurisprudence, qui pose une nouvelle condition de recevabilité d’un recours contentieux ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif, son application immédiate à des instances déjà en cours constitue quant à elle une application rétroactive de cette règle qui était imprévisible au moment de l'introduction du recours et imparable dès lors que les requérants ne pouvaient pas apporter d'argument contraire ou se défendre contre elle.
La CEDH a ainsi jugé que l’application immédiate de l’arrêt CZABAJ, a bien eu pour effet de restreindre le droit à un recours effectif.
En pratique, cet arrêt qui intervient presque 7 ans après , n’aura pas d’impact réel sur des instances en cours dès lors que la plupart des affaires concernées par cette application immédiate sont désormais définitivement jugées.
Toutefois, la portée de l’arrêt de la CEDH servira surtout pour l’avenir si une configuration semblable devait survenir ce qui permettra de sauvegarder les intérêts des justiciables et d'encadrer l'application des règles dégagées par la jurisprudence qui ne sont pas au dessus de la loi dès lors qu'elle même est assortie d'une interdiction de s'appliquer de façon rétroactive.
Mais attention ! les militaires qui forment un recours contre l'administration qui les emploie ne sont pas concernés : en effet, la règle dégagée par la jurisprudence CZABAJ n'est pas applicable dans ce cas, conformément aux dispositions du code des relations entre le public et l'administration qui excluent expressément cette règle dans le cadre des relations entre l'administration et ses agents. La vigilance reste donc de mise ! (voir notre article à ce sujet cliquer ici )
Il reste que les militaires qui contestent une décision qui concerne leur carrière militaire mais dont l'exécution est régie par une autre administration tel qu'un titre de pension de retraite pourront s'en prévaloir.
© MDMH – Publié le 15 novembre 2023